Comment la recherche canadienne en IA met en place les bases pour les avancées de demain

« Le travail que nous accomplissons aujourd’hui crée sans aucun doute les bases d’applications dont nous ne pouvons même pas encore rêver. »
Dugan O’Neil, vice-président, recherche et innovation
Université Simon Fraser
Le calcul haute performance, des grappes de processeurs puissants qui fonctionnent en parallèle pour traiter des ensembles de données multidimensionnels massifs, permet aux chercheurs de résoudre rapidement des problèmes complexes. L’ajout de l’intelligence artificielle (IA) à cet ensemble ouvre encore plus de possibilités pour la recherche avancée. Ce niveau de puissance de traitement n’était auparavant nécessaire que dans quelques disciplines universitaires, comme la physique et la chimie. Mais cela est en train de changer.
Aujourd’hui, presque tous les domaines de recherche, du développement de médicaments à la protection des récoltes, considèrent ce type de capacité informatique avancée comme aussi indispensable que l’électricité. À mesure que les entreprises voient des opportunités d’utiliser l’IA de nouvelles façons, la demande va croître au-delà des organismes de recherche traditionnels.
Dugan O’Neil a été témoin de ce changement. Il a joué un rôle de premier plan dans la mise en place de l’infrastructure de recherche numérique du Canada, notamment en tant que directeur scientifique de Compute Canada pendant trois ans. Aujourd’hui, en tant que vice-président de la recherche et de l’innovation à l’université Simon Fraser, il supervise le Cedar Supercomputing Centre, l’un des centres de données les plus puissants et les plus économes en énergie du Canada, dédié à la recherche universitaire.1 Grâce à Cedar, les chercheurs de tout le pays peuvent tirer parti de l’IA et des ressources informatiques à haute performance, ce qui leur permet de mener des recherches de pointe qui contribuent à maintenir le Canada à l'avant-garde de l’innovation.
« Le Canada est l’un des meilleurs endroits pour la recherche en IA depuis au moins les années 1980. Ce type d’infrastructure est essentiel pour maintenir ce leadership et bâtir une société capable de rivaliser sur la scène internationale. »
Le pouvoir de soutenir l’innovation
Capables d’exécuter des pétaflops (des millions de milliards) d’opérations par seconde, les super-ordinateurs soutiennent certains types de recherche depuis des décennies. L’une de leurs fonctions les plus courantes consiste à permettre des simulations qui réduisent considérablement le temps nécessaire à la conception, à la construction et à l’essai de nouvelles technologies.
Par exemple, depuis les débuts du calcul de haute performance, les chercheurs effectuent des calculs de dynamique des fluides numériques afin d’optimiser la conception des ailes d’avion. Plutôt que de consacrer du temps et des ressources à la construction d’un prototype physique pour chaque idée de modèle, puis à tester chacun dans des souffleries réelles, les ingénieurs peuvent créer et simuler des tests pour des milliers de variantes numériques afin d’isoler les quelques itérations qui méritent d’être testées dans des conditions réelles.
Étendre les possibilités de recherche
L’avènement des algorithmes d’IA a considérablement renforcé ces capacités, les étendant à encore plus de domaines pour résoudre des problèmes encore plus complexes, comme la structure des protéines. Une meilleure compréhension des protéines appropriées peut être la clé du développement de vaccins et même de remèdes. Mais la création de cette structure protéique présente des défis considérables.
« Si vous allez dans un laboratoire et essayez de synthétiser un remède, il vous faudra mille ans pour tester des millions de possibilités », explique M. O’Neil. « Ou vous pouvez utiliser un super-ordinateur exécutant un algorithme d’IA puissant pour passer en revue le même nombre de remèdes potentiels en quelques minutes. »
Ces dernières années, l’IA a permis aux chercheurs de faire d’énormes progrès dans ce type de défis précis. En 2025, par exemple, des chercheurs de l’Université Simon Fraser ont utilisé l’IA pour surmonter un défi persistant dans la recherche sur les protéines : si de nouvelles protéines pouvaient être inventées en théorie, elles s’étaient jusque-là révélées impossibles à synthétiser. Les travaux du professeur d’informatique Martin Ester ont abouti à la création d’un système capable d’assembler de nouvelles molécules étape par étape, permettant aux chercheurs de voir exactement comment les construire.2
Ces travaux n’auraient pas été possibles sans l’accès aux ressources du Cedar Supercomputing Centre.
« Si vous allez dans un laboratoire et essayez de synthétiser un remède, il vous faudra mille ans pour tester des millions de possibilités. Ou vous pouvez utiliser un super-ordinateur exécutant un algorithme d’IA puissant pour passer en revue le même nombre de remèdes potentiels en quelques minutes. »
Mettre l’IA à la portée des innovateurs canadiens
Grâce en partie au soutien fédéral apporté au cours des dernières décennies, le Canada est devenu un leader dans le développement de ce type de fonctions d’IA. Cette stabilité a contribué à faire du pays un centre de recherche en IA qui a donné lieu à de nombreuses réalisations pionnières et continue d’attirer des talents de haut niveau dans le domaine de l’IA.
« La force de la recherche au Canada est phénoménale », affirme M. O’Neil. « Là où nous pouvons nous améliorer, c’est dans l’adoption de l’IA, en tirant parti de toute cette expertise pour créer des entreprises canadiennes qui deviendront des acteurs dominants dans le monde de l’IA. »
Bien que les chercheurs canadiens soient des leaders dans leurs domaines respectifs, leurs découvertes sont souvent commercialisées par de grandes entreprises d’autres pays qui ont la capacité de les exploiter à une échelle beaucoup plus grande. Pour que les entreprises locales puissent rivaliser, il faut créer une voie qui permette aux innovateurs de plus petite taille de croître jusqu’à devenir des entreprises commerciales d’envergure.
Soutenir le leadership canadien en matière d’IA
Le Cedar Supercomputing Centre fait partie de cette voie, en fournissant gratuitement une puissance de calcul et une expertise à 17 000 chercheurs à travers le pays. Ces ressources ne sont actuellement disponibles que pour la recherche universitaire, mais l’industrie et les entreprises privées peuvent y accéder si cela s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche universitaire.
« Prenons l’exemple d’une entreprise de drones qui souhaite utiliser l’IA pour mieux détecter les maladies dans les récoltes comme les bleuets », explique M. O’Neil. « Elle pourrait alors s’associer à un groupe de recherche qui étudie les technologies de vision par ordinateur et de reconnaissance d’images afin de développer des drones capables d’identifier rapidement les plantes infectées depuis les airs. »
À l’heure actuelle, Cedar fonctionne à pleine capacité, mais l’Université Simon Fraser travaille avec des partenaires comme Bell pour accroître ses activités et créer un système parallèle accessible aux entreprises privées. Au lieu d’être des acteurs commerciaux dans un projet de recherche, les entreprises de toutes tailles pourront lancer leurs propres initiatives avec les experts de SFU (Université Simon Fraser) et de Cedar, afin de développer des solutions à leurs propres défis.
« Nous voulons être en mesure de leur offrir le même système, les mêmes configurations logicielles et le même environnement que ceux utilisés par les universitaires, ainsi que l’expertise dont les petites entreprises ne disposent probablement pas parmi leur personnel, comme des chimistes, des ingénieurs et des informaticiens », a déclaré M. O’Neil.
« La force de la recherche au Canada est phénoménale. Là où nous pouvons nous améliorer, c’est dans l’adoption de l’IA, en tirant parti de toute cette expertise pour créer des entreprises canadiennes qui deviendront des acteurs dominants dans le monde de l’IA. »
Garder les innovations du Canada au Canada
Construire l’infrastructure nécessaire pour soutenir la recherche canadienne et la maintenir au Canada est d’une valeur inestimable. Non seulement cela protège nos données, mais cela réduit également notre dépendance vis-à-vis de fournisseurs qui peuvent être soumis à des pressions politiques ou commerciales provenant de l’extérieur du pays. C’est pourquoi M. O’Neil préconise de maintenir autant que raisonnablement possible l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement au Canada, y compris le réseau, les logiciels, les processeurs graphiques, les commutateurs, les alimentations en électricité et les autres composants de l’infrastructure.
D’un point de vue commercial, l’utilisation d’un produit connu provenant d’une entreprise étrangère bien établie peut sembler être l’option la plus simple ou la plus pratique, mais cela peut présenter des risques. L’approvisionnement à l’extérieur du Canada peut rendre la chaîne d’approvisionnement vulnérable aux perturbations causées par des conflits, des pressions politiques ou économiques et d’autres événements indépendants de la volonté de l’entreprise.
Les fournisseurs non canadiens peuvent également être incapables de garantir que des informations précieuses (telles que des données sur la santé ou la propriété intellectuelle) restent au Canada et pourraient donc être soumises aux lois d’un autre pays. Lorsqu’une chaîne d’approvisionnement est internationale, le risque de retards dus à des facteurs géopolitiques augmente à chaque passage de frontière. Les composants canadiens (en particulier s’ils sont plus récents sur le marché) peuvent présenter leurs propres risques initiaux, mais ce choix atténue les risques liés à la souveraineté, tout en aidant les fournisseurs canadiens à prospérer et à mieux s’établir; une situation véritablement gagnant-gagnant.
Mettre en place les bases pour les solutions de demain
La recherche en IA est essentielle tant pour les questions que nous savons qu’elle peut résoudre que pour celles que nous n’avons même pas encore envisagées.
« Prenez une entreprise comme Uber. », dit M. O’Neil. « Son service dépend du GPS, qui dépend des satellites, qui dépendent à leur tour des fusées pour les lancer dans l’espace. Et le GPS ne fonctionnerait pas sans corrections précises des horloges des satellites, corrections qui proviennent de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Bien sûr, Einstein ne pensait pas aux satellites, au GPS ou au covoiturage. Le processus scientifique n’est pas linéaire. Le travail que nous accomplissons aujourd’hui pose donc sans aucun doute les bases d’applications dont nous ne pouvons même pas rêver encore. »
La clé pour rendre ces applications possibles réside dans des partenariats tels que celui entre l’Université Simon Fraser et Bell, qui contribuera à développer Cedar et les occasions de recherche qu’il peut offrir, notamment en le connectant au futur site de Réseau d’IA tissé de Bell à l’Université Thompson Rivers. Ce site fera partie d’un réseau national d’installations de calcul à haute performance souveraines, qui favorisera un écosystème d’innovation dynamique et concurrentiel, afin de former et de retenir les talents, tout en attirant les investissements en IA au Canada.
Sources :
1. Bell, Faire progresser l’écosystème canadien de l’IA et du calcul haute performance avec l’Université Simon Fraser.
2. Université Simon Fraser, https://www.sfu.ca/sfunews/media/media-releases/2025/08/new-sfu-study-unveils-ai-that-designs-medical-drugs---and-tells-.html